Damien m'avait envoyé un mémo voilà plus d'une semaine, pour que je l'aide avec ses histoires de soirée particulières. Comme toujours, il voulait que le Dolorion ait une affluence toute particulière pour un jour tout particulier. Il cherchait à attirer un nouveau public. En fait, chaque fois qu'il accrochait une affiche au Paisible, je savais qu'il allait m'appeler.

Quoi qu'il en soit, j'avais dû m'apprêter pour l'occasion. J'avais passé des heures à chercher une robe, entre internet et tous les magasins de vêtement de Sainte Rosalie. En fait, selon Damien, rien n'allait vraiment au Dolorion. Et, même avec les vêtements qu'il s'était évertué à m'offrir pendant des années, je n'avais rien de rouge ou de rose.

Peu importe, cette petite robe fleurie, au joli décolleté, devrait lui convenir. Il était assez conciliant, quand il était question de moi. Après tout, je n'étais pas une de ses danseuses. Peu importe. J'avais vu Helena, Edward, Gwen et la plupart des gens que je devais voir aujourd'hui. Maintenant, à 18h50, ma robe était passé, mon sac était prêt, et j'avais les 23 appel manqués plus que prévisible. Mon maquillage était prêt, mon spray au poivre était dans mon sac, Helena était en compagnie de son père : tout allait à merveille.

Je descendit les escaliers quatre à quatre et croisait Thierry, au service, avec son air boudeur :

« Tout le monde est en ville, et tout le monde ira au Dolorion. Charlie, s'il te plaît, me laisse pas seul avec Albert ! »

Il était toujours tellement dramatique, mais je n'avais pas le temps de m'occuper de lui maintenant. Il était avec notre plus jeune cuisinière, et Albert. Il allait réussir à gérer le service, tout allait se passer merveilleusement, et il avait déjà accepté de faire la Saint Valentin.

« On en a déjà parlé. Je n'ai pas le temps, Da'Meyth m'attend au Dolorion. Si tu as un problème avec Albert, on en reparlera un autre jour. »

Et je me dépêche de sortir. Je vais y aller à pied, c'est plus sûre. Je ne suis pas certaine d'être capable de rouler au retour... de toute façon, il y a une chance sur deux que je passe la nuit chez Damien. On va pouvoir prolonger la soirée et parler toute la nuit, comme à l'époque, quand je ne m'occupais pas d'une fille de quinze ans.

Le Dolorion se présenta rapidement et je montais les marches. A cette heure, il n'y avait pas grand monde, et tout se passa très vite. Ici, je connaissais tout le monde et tout le monde me connaissait. Patrick était en service comme videur et Samantha s'occupait du vestiaire. De vue, je reconnaissais déjà Emilie au milieu des serveuses, et Mathéo, qui exhibait le résultat de ses journées à la salle de sport. Aucun Da'Meyth en vue. Où est-il passé ?

Là, je reconnais Ileana Zulian, ma voisine italienne. Elle est magnifique, dans sa robe noire et rouge. Dommage que je sois là pour assister Damien, je l'aurais bien saluée. A la place, je me rapproche d'Emilie. La brune porte une robe à plume blanche très courte, des sous-vêtement rouge trop visible et une quantité incroyable de maquillage.

« Em', t'as pas vu Damien. »

Elle éloigna le plateau immédiatement, en me voyant, pour embrasser ma joue. Je sentais son rouge à lèvre poisseux se déposer sur ma peau. Généralement, même elle n'en met pas autant. Je me doutais que c'était important, et luttait pour ne pas l'effacer immédiatement, tandis qu'elle me souriait vilement. Elle était vraiment belle, pas comme une femme de son âge, non, belle simplement. Elle n'avait pas besoin de tous ce maquillage, de cette robe, de ces talons, … elle était belle toute entière et à elle seule. Mais elle était une DeLameyth qui aimait son nom et les traditions qui l'accompagnaient...

Ma douce Em', mon adorable Em'... elle avait l'air toute mignonne, dans son visage, comme si elle n'était pas mon aîné. Elle avait l'air imprudente et puéril, et c'était sans doute le cas. Pourtant, je la savais assez responsable, généralement. Mais là, à ce grand sourire mesquin sur son visage, je savais déjà qu'elle n'allait pas être toute mignonne, toute adorable. Je soupirais en mon fort intérieur, déjà persuadée que ce serait une mauvaise idée de lui montrer mon exaspération.

« Coucou chérie. »

Elle m'admira, avec ces paillettes mesquines dans le regard. Je voyais en elle quelque chose comme Helena, comme un espèce de besoin de prouver aux autres qu'elle était bel et bien une DeLameyth. On ne doutait pas d'elles deux de la même façon... pourtant, je savais qu'entre naître dans une famille Éminente et l'épouser, directement ou non, il y avait un écart monumental.

« Tu as fait les boutiques ? »

Nous étions-nous vaguement croisées ? De l'incompréhension balaya mon visage, une seconde. Je ne voyais pas comment elle pouvait savoir... mais je compris vite, à son regard avide sur ma nouvelle robe. Em' accompagnait toujours Damien pour juger de ce qu'il me manquait. Elle m'avait offert une robe de cuir noir couverte de lacet, une fois, couvrant si peu qu'elle aurait pu être qualifié de sous-vêtement. A force, elle devait connaître mon armoire par cœur...

« J'avais jamais vu cette robe. »

Je roulais des yeux et soupirais. Elle était vexée, sans doute ne lui avais-je pas donné toute l'attention qu'elle voulait. Elle allait jouer avec moi et j'allais perdre mon temps. Je ne pouvais pas me permettre de rentrer dans son jeux... je devais voir Da'Meyth et lui demander pourquoi il avait eu cette idée stupide d'ouvrir un club à seulement 19h !

« Bonsoir Mademoiselle DuLac ! »

Avant que j'ai pu répondre à Em', ou chercher quelqu'un d'autre, je suis interrompue par mon élégante voisine. Celle-ci s'était penchée pour couvrir la musique. Là, je compris que j'étais fichue. Emilie n'allait pas nous laisser tranquille, pas une seconde. Je souris, professionnelle comme devait l'être une patronne, accueillante comme devait l'être une voisine, amicale comme devait l'être la protégée de Da'Meyth.

« Bonsoir Mademoiselle Zulian. Vous passez une bonne Saint Valentin ? »

Là, je réalisais que, peut-être, Ileana n'avait pas l'habitude de fêter cela aussi bien. Au fond, tout cela était dû à ma sœur. C'était sa fête préférée, jusqu'à la naissance de sa fille. A cette idée, j'eus un pincement au cœur. Elle était partie, et nous fêtions tous pour elle, avec toute la ferveur possible.

Mais, peu importe la grandeur de la fête, son absence la rendra vide et creuse. Anastasia… tu sais que tu nous manque… la Saint Valentin est devenue la fête de ta mémoire, de ma douleur…

J’aurais presque manqué le bisous baveux d’Emilie, s’il n’avait pas été si sonore, si elle ne s’était pas tartinée de rouge à lèvre par la suite. J’ai grimacé. Pauvre Ileana… Emilie pouvait être terrifiante, parfois…

« Bonjour ma chérie. »

Elle avait l’air ravie, vraiment. Em’ était vraiment un cas d’école… c’est vraiment exaspérant…

« tu ne serais pas… »

Ah ? Elle la connaît ? Elle a dû reconnaître son nom… après tout, elle vient si souvent chez moi… d’ailleurs, elle devrait vraiment venir moins souvent…

« Il’na, par hasard ? »

Il’na ? Original.

« Enfin… je veux dire… »

La pauvre, elle avait l’air de faire un profond effort de réflexion…

« « Lana » Zulian ? »

Bravo !

« Les italiens ont vraiment de la chance… »

Oui, là, on tombe d’accord. Lana est une femme vraiment délicieuse. Et c’est une excellente voisine !

« Eh bien, euh… »

Elle me regarde toujours, de sorte à que je ne sache pas si elle ignore Em’ –ce qui est vraiment très dangereux- ou si elle lui parle.

« Je dois avouer que je ne pensais pas qu’il existe une ville dans ce monde qui puisse célébrer cette fête aussi bien. »

J’accuse le coup avec le sourire. Peu importe le temps, le deuil fait mal. Mais elle a raison, on doit être la ville qui la fête le mieux… Venise n’a qu’à bien se tenir ! Tout le monde ici fête la Saint Valentin…

« Donc, je dirais que je passe une très bonne Saint Valentin. Mais bien sûre, elle aurait été bien plus belle avec une compagne telle que la vôtre. »

Je souris timidement, le rouge aux joues. Ça faisait longtemps que personne de sensé ne m’avait dit ça ! Même si je ne suis pas certaine qu’elle aurait apprécié ma Saint Valentin… enfin… le cimetière n’est pas l’endroit le plus amusant de Sainte Rosalie… elle doit avoir bu, en tout cas, pour dire des choses comme ça. Etre déjà alcoolisée à dix-neuf heure ? Clairement, elle ne vivait pas perdue au milieu de la campagne, avant.

« Et bien ma jolie, je suis surprise, suis-je déjà si connue que ça au Dolorion ? »

Ma jolie ? Em’ ? Elle n’a pas à être si surprise. Connaissant Kate, elle avait dû parler d’elle pendant des heures. A voir comment elle la regarde, on pourrait croire que c’est sa nouvelle passion. Elle passe ses journées à parler de la relation entre Helena et elle. Enfin bref, la pauvre ma finir complètement traumatisée par tout ça…

« Les hommes de Sainte Rosalie ne sont pas mal servis non plus ! »

Son petit regard provocateur me fait sourire largement. Elle a beaucoup d’humour, en tout cas, pour se comporter comme ça avec Em’. Moi, je ne pourrais pas autant la supporter… Et elle me regarde, comme si un courant nous liait. Je deviens de plus en plus mal à l’aise.

« Et bien maintenant, on va finir cette Saint Valentin toutes les deux ! »

Je lui adresse un clin d’œil qui se voulait amical. Sans doute avait-il été trop pétillant… au regard des employés, je devinais que mon comportement était anormal…

Je soupire intérieurement : ce n'est pas mon genre de faire ça. Ce n'est pas mon genre d'être aussi avenante... ça pourrait être vu comme de l'abus de pouvoir. C'est plus le genre de Damien de tenter des trucs aussi stupide. Et qu'est-ce qu'il fait encore, ce débile ?

« Bonne idée ! »

Wait... what ? Je cligne frénétiquement des yeux.

« Dans ce cas, je te propose... »

De boire un verre ? Bon Dieu qu'est-ce que je vais faire ? Je regarde Em', histoire d'obtenir du soutient, un indice, quelque chose. Mais elle a son sourire du « je vais te fixer et me détecter de ce que je vois », alors j'abandonne.

« d'aller danser... »

Ouf ! Bien sûre, on ne va pas en boîte pour parler boulot. Oui, danser, c'est très bien, même si des gens sont déjà payés pour ça...

« avec moi, bien sûre. »

Je crois que je rougis un peu... bon, contrôle-toi. Anastasia était une femme mariée et elle dansait avec toi. Bon, Anastasia était ta sœur, mais bon... Soit.

« Le Dolorion ne saurait se passer de toi pour bien démarrer la soirée ! »

Mes yeux s'ouvrent rond sans que je ne les contrôle. Elle me tend la main et je reste un instant immobile, sidérée. Est-ce qu'elle essaye de me draguer ? Nah ! Kate n'arrête pas de dire qu'elle a des vues sur Edward, alors... elle essaie de sympathiser ? Kate a dû la convaincre de copiner avec moi. Oui. C'est ça. Arrête de te faire des idées ! Elle se dispute tellement avec Helena, elle ne pourrait pas draguer la personne avec qui elle vit... pas vrai ?

J'attrape sa main avec un sourire et l'entraîne vers la piste alors qu'Em' s'en va dans la foule... absente. Elle va se prendre un verre ou deux. Bon, ça ne coûte rien d'essayer. Le DJ enchaîne les sons entraînant en nous voyant et quelques danseurs pro nous entourent pour créer un effet de piste. C'est suspect que tout le monde soit aussi organisé...